L’e-inclusion au Ti’Lieu: une approche globale et capabilisante de la problématique de l’inclusion numérique

En janvier 2020, ouvrait le Ti’Lieu : un Espace Social et Connecté intégré à l’écosystème agissant pour un territoire e-inclusif.
Dans un contexte où 17 %1 de français sont en difficulté avec le numérique, la question des transitions numériques était particulièrement centrale dans nos actions de médiation. Le Conseil National du Numérique a ainsi défini 5 domaines prioritaires où observer les conséquences de cette e-exclusion : le travail et l’emploi, l’accès aux droits et aux services essentiels, l’accès à la connaissance et au savoir, la dignité et le bien-être et la participation à la société.
Les technologies numériques sont présentes dans nombre d’aspects de nos vies quotidiennes, et ont un effet qui décuple les inégalités sociales. Elles créent ainsi de nouveaux besoins de compétences à maîtriser, sous peine d’être exclu. Ces dernières années, le secteur associatif s’est emparé de cette problématique notamment au travers des Tiers-Lieux qui, depuis leur genèse, contribuent à la réduction des inégalités numériques2 mais plus largement des inégalités sociales en proposant des actions éducatives et citoyennes. Ces Tiers-Lieux jouent le rôle de structures d’intermédiation entre structures traditionnelles de l’action sociale et les personnes vulnérables3.
Dans ses travaux, Amartya Sen, économiste et philosophe, postule que les inégalités entre les individus ne s’apprécient pas au regard de leurs seules ressources mais plutôt de leur liberté à les convertir en liberté réelles et introduit ainsi la notion de « Capabilités ». La pauvreté est ainsi questionnée non par son seul aspect monétaire mais en terme de liberté d’action et de capacité à faire. Dans ses travaux, il met en lumière le fait que c’est la démocratie dans des espaces de débat publics ouverts qui permet de résoudre les inégalités.
Or, les Tiers-Lieux sont des espaces de nature relationnelle, partagés et co-construits par des agents cultivant l’argumentation et le débat en faisant des espaces intrinsèquement démocratiques. Ils cherchent ainsi à atténuer les effets locaux des baisses de solidarité au travers d’expérimentations et d’un meilleur agencement des ressources existantes4.
D’autre part, les inégalités se cumulent et font système5. Les difficultés d’inclusion numérique ne peuvent en aucun cas se réduire à une question ‘apprentissage des compétences ou d’équipement car les injustices sont systémiques. Certaines discriminations sont récurrentes et se voient ainsi renforcées par des inégalités de pouvoir et de statut inscrites dans notre organisation sociale.
Pour toutes ces raisons, au Ti’Lieu, nos actions sont toujours abordées de manière holistique: Nous plaçons l’écoute au coeur de l’accueil des usagers afin de connaître la personne dans toute sa complexité. Si les pouvoirs publics nous identifient souvent comme un « Espace de médiation Numérique », nous nous définissons, nous, comme un « Tiers Lieu Social et connecté » jouant sur le double sens du mot connecté qui peut être à la fois vu comme connecté au sens purement numérique du terme mais aussi comme un espace de connexion à notre humanité et au lien entre humains.
L’objectif de nos actions est d’ouvrir le domaine des choix, plaçant ainsi nos usagers dans la sphère des capabilités. Ainsi, nous avons identifié 4 leviers d’action qui guident quotidiennement la mise en oeuvre du projet associatif :
→ Co-construire un espace démocratique de débat ouvert et public régulé par sa communauté formée tant de ses usagers individuels que collectifs.
→ Développer un espace de liberté où chacun et chacune a accès à l’information, se trouve en capacité d’expérimenter, d’apprendre et de progresser dans ses capabilités.
→ Agir collectivement en posant la réciprocité comme la base des échanges, contribuant ainsi au fonctionnement de l’espace afin de développer un espace à l’économie hybride.
→ Investir le rôle d’intermédiation de l’Espace Public de proximité avec son écosystème humain et non-humain en assurant les coopérations avec les autres parties prenantes du territoire. Il s’agit ici de maximiser l’impact social et environnemental de nos actions au-delà de nos savoir-faire internes.
C’est en questionnant ces 4 piliers au quotidien que nous menons notre projet et ainsi contribuons à notre échelle à transformer notre société afin de la rendre plus juste et durable.
1Stéphane Legleye, Annaïck Rolland (2019). Insee Première n°1780, Octobre 2019
2Lorre, 2017
3les Québécois parlent de structures médiatrices non étatiques, relevant d’une sphère autonome par rapport à l’action publique fédérant les « actions collectives destinées à réduire le niveau de vulnérabilité des individus et des groupes en voie d’exclusion » (Ulysse 2007 : 16-17)
4(Lévy-Vroelant, Joubert, & Reinprecht, 2015:83)
5Alain Bihr et Roland Pfefferkorn, les système des inégalités, coll. »repères » La Décourverte, 2006